Nice to meet you ft Jay Wilcox

Nice to meet you too

with Selena Gilmore

Sois le bienvenu, rouge Automne, Accours dans ton riche appareil, Embrase le coteau vermeil Que la vigne pare et festonne.

Besoin de faire des courses. Cette simple phrase avait tendance à tendre légèrement Jay. Pas qu'il soit du genre à rester enfermer chez lui non plus, toutefois, il devait se rendre à l'évidence qu'il n'était pas partisan des supermarchés. En fait, le lieu en lui-même n'était pas si dérangeant que cela, c'était surtout les gens à l'intérieur, qui avaient tendance à le rendre un peu… Aigri ? Rustre ? Quoi qu'il en soit, ça n'avait rien d'une partie de plaisir à ses yeux et ça l'était encore moins lorsqu'il avait le malheurs de croiser une connaissance. Non, il n'était pas non plus franchement à l'aise avec les mondanités et devoir faire la conversation à quelqu'un alors que faire ses courses était déjà une corvée, cela avait tout d'une punition au bagne à ses yeux. Voilà pourquoi, en temps normal, il allait faire ses achats très tôt le matin ou tard en fin d'après-midi pour être sûr d'être au calme. Mais aujourd'hui, il n'avait pas vraiment d'autres solutions ; le salon dans lequel il travaillait -son salon ! - avait cruellement besoin d'être rechargé. Essuie-tout, papier WC, thés en tous genre, café et bien d'autres choses encore. Pour le plus grand plaisir de Jay, bien évidemment. Heureusement -dans un sens- il ne s'agissait pas là d'un ravitaillement militaire et il était à peu près persuadé de pouvoir tout porter dans deux sacs. Ça ne devrait lui prendre qu'une heure de son précieux temps et, s'il se dépêchait, il était absolument persuadé d'être rentré assez vite pour esquiver la nuée de personnes travaillant dans des bureaux et prenant leur pause à cette heure-ci. D'un pas déterminé, Jay quitta donc le salon -prenant soin de le fermer derrière lui. Il n'avait pas de client prévu cet après-midi et il savait d'ores et déjà qu'après avoir fait ses courses, il ferait un brin de ménage et achèverait sa journée en gribouillant quelques dessins sur un carnet. Un emploi du temps tout à fait lambda dans sa paisible existence en somme.

Le centre-commercial était probablement l'endroit le plus proche où il pourrait trouver ce qui lui manquait actuellement, alors il décida de s'y rendre d'un pas rapide et assuré. Dehors, il faisait plutôt bon pour un jour d'automne. Les feuilles tombaient un peu partout autour de lui et donnaient à la ville un aspect presque magique, digne des séries Netflix qu'il regardait parfois jusque tard dans la nuit. C'était très joli, mais pas franchement le temps de s'attarder dessus pour le moment. Les mains dans les poches de son vieux jean noir, l'air renfrogné et une folle envie de remettre cette corvée à demain, Jay s'enfonça finalement dans le supermarché du centre commercial. Il attrapa négligemment un petit panier à l'entrée et, tout en priant pour ne croiser personne, il commença sa terrible besogne.

Et l'histoire aurait tout à fait pu s'arrêter là, si à un instant précis, il n'avait pas bifurqué dans le rayon ou étaient entreposées les essuie-tout. C'était là un accessoire indispensable à son travail et c'était d'ailleurs la raison principale qui l'avait poussé à faire quelques courses aujourd'hui. Il commença à en remplir son panier quand un bruit, plus loin dans le rayon, lui fit tourner la tête. Jay assista à une drôle de scène, sans franchement comprendre ce qu'il venait de se passer. Il y avait simplement cette femme et ces quelques paquets de papier toilettes au sol. Le tatoueur en arriva très vite à la conclusion qu'elle venait de faire tomber ces derniers de l'étalage sur lequel ils étaient présentés. « Rah bon sang ! C'est vraiment pas ma veine aujourd'hui. » L'entendant pester et estimant qu'il n'y avait pas franchement de blessure à déplorer, il s'autorisa à sourire, amusé par la situation. Discret, il l'observa ranger difficilement ce qu'elle avait dérangé, tout en notant le comique de la situation. Il serait bien allé vers elle pour lui proposer son aide, mais il n'était pas du genre à aller voir les gens qu'il ne connaissait pas. De plus, il ne savait que trop bien qu'aller vers une femme pouvait la rendre nerveuse. Expérience faite à New York où il avait vite réalisé que les dames pouvaient se sentir mal à l'aise en présence d'un inconnu déboulant de nulle part -ce qu'il ne comprenait que trop bien après-tout. Il attendit qu'elle fasse demi-tour pour s'avancer, dans le plus grand des silences et ranger les paquets sur l'étage qu'elle n'avait pas réussi à atteindre. Il était persuadé que tous les héros ne portant pas de cape, s'il se chargeait de camoufler le petit désastre de l'inconnu au mieux, cela soulagerait également les employés du supermarché d'une corvée supplémentaire.

S'il avait été davantage dans la démonstration, Jay aurait bien été tenté d'entamer une conversation avec l'inconnue. Lui demandait si comment elle allait aurait été la moindre des choses après tout. Mais il ne voulait pas franchement lui imposer le supplice de la ridiculiser publiquement. Et puis il n'était pas et n'avait même jamais été trop bavard. Jay était Jay et malgré son bon fond, il ne changerait pas de sitôt.

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Jay posa le dernier paquet à sa place avec un sentiment de satisfaction. Il venait d'accomplir sa bonne action de la journée et se sentait étrangement plus léger. Et tant pis si personne ne le saurait jamais, tout ce qui comptait, c'était de l'avoir fait. « C'est… C'est tombé sans que je puisse l'empêcher et j'ai pas réussi à les remettre à sa place. Pardon, bonjour. » Un peu pantois et surtout assez surprit, le tatoueur se tourna vers la jeune femme. Il ne s'était pas attendu à ce qu'elle revienne sur les lieux de son crime et encore moins à ce qu'elle cherche à s'en excuser. Jay prit à peine une seconde pour l'observer, étrangement fasciné par la profondeur de son regard. Il ne s'était pas attendu à tomber sur une femme aussi jolie -ou tout du moins la trouvait-il parfaitement ravissante- mais ce n'était pas pour autant qu'il devait paraitre étrange à ses yeux. Mais il devait tout de même admettre qu'il ne s'attendait pas à ce que quelqu'un surprenne sa bonne action. Est-ce qu'elle devenait un peu moins glorieuse de ce fait ? « J'avais vraiment pas l'intention de mettre le bazar ou quoi que ce soit, vraiment. Ce n'est pas mon genre. » Jay ne put s'empêcher de sourire de nouveau. Elle était attachante, dans un certain sens, une sorte de candeur presque enfantine. Il ignorait pourquoi, ni même comment l'expliquer, mais il devait avouer qu'il aimait bien ça, d'une certaine manière. Il hocha doucement la tête, avec une certaine compréhension dans le regard, avant de répondre, tout simplement ; « Je sais. » Que dire de plus ? Il aurait réellement voulu entamer la conversation, mais ça n'était pas dans ses habitudes. Et puis, il s'était fait la réflexion qu'il détestait qu'on l'aborde lorsqu'il faisait ses courses, or, c'était peut-être aussi le cas de cette jeune femme ?

Si une partie de lui souhaitait sérieusement prendre la poudre d'escampette et disparaitre tel un héros de l'ombre, il ne pouvait pourtant pas s'empêcher de rester là, entre deux étagères de papier toilette, avec cette femme sortie de nulle part. Derrière le comique de la scène, il y avait quelque chose d'assez plaisant incapable à expliquer. « Je… ne vais pas vous déranger plus longtemps. Et merci… pour avoir rangé les paquets dans l'étagère qui leur revenait de droit. » Douche froide. Elle secoua doucement la main comme pour lui dire au revoir. Il fallait que Jay trouve quelque chose et vite, s'il voulait continuer de parler un peu. Mais sans passer pour le mec lourd -tâche ardue en fin de compte. Alors qu'un vent de panique commençait peu à peu à s'immiscer dans son esprit, il argua la seule chose qui lui vint en tête ; « Pas de soucis. N'hésitez pas à m'appeler la prochaine fois que vous aurez besoin d'un coup de main. » Sérieusement ? Mon dieu, il se serait giflé tellement cette phrase était à chier. Il avait l'air de tout ce dont il ne voulait pas avoir l'air ; un mec vraiment très bizarre et qu'il fallait fuir à tout prix. « Ah ouais, dans ma tête ça ne sonnait pas aussi bizarrement, désolé. » Pirouette de rattrapage, dans l'espoir de sauver un peu les meubles et de garder la face. Si tant est qu'il y ait eu encore une part d'honneur à sauver. Ne restait plus qu'à tenter une esquive pour s'en aller et ils tenteraient tous les deux d'oublier cette conversation étrange. Enfin, Jay n'oublierait pas, lui, que l'une des rares fois où il avait voulu aborder une femme -simplement pour discuter avec elle, ne nous emballons pas- il s'était royalement ramassé. « Enfin voilà, pas d'inquiétude, ça arrive à tout le monde… Passez une belle journée ! » Il tenta un faible sourire, puis ramassa son panier de course, qu'il avait posé au moment de réparer les dégâts.

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D'une certaine manière, Jay fut presque rassuré en entendant la jeune femme pouffer un peu. S'il avait eu l'air étrange à ses yeux, elle semblait toutefois s'en amuser. Et qu'importe si c'était la situation ou si c'était lui qui provoquait son rire. En fait il s'autorisa même à esquisser un léger sourire. « Ce n'est rien, je trouve ça plutôt amusant. D'ailleurs, si j'avais su, je vous aurais sûrement demandé de l'aide plutôt. J'ai dû avoir l'air idiote d'un point de vue extérieur, je me trompe ? » Idiote ? Certainement pas ! Il secoua doucement la tête pour lui faire comprendre qu'il n'y avait rien d'idiot. Il aurait bien voulu renchérir, lui faire un monologue lui expliquant que malgré le comique de la scène il n'y avait rien d'idiot chez la jeune femme. Il aurait bien voulu lui expliquer que c'était le genre de mésaventure qui pouvait arriver à n'importe qui. Mais il devait bien avouer qu'il craignait de prendre la parole et de dire une ânerie. Une de plus. Jay se sentait déjà cruellement pataud, son panier en main, toujours partagé entre l'envie de prendre la fuite le plus vite possible et celle de rester dans ce rayon pour continuer sa drôle de conversation avec une inconnue.

Jay avait déjà entamé un demi-tour stratégique, s'apprêtant à déguerpir au plus vite lorsqu'il entendit la voix de l'inconnue. « Je m'appelle Selena, au fait. C'était… vraiment plaisir de vous rencontrer. Même si ça a été une rencontre plutôt rapide. » Il eut une drôle de sensation dans l'estomac et se figea sur place. C'était joli, Selena. Peu commun, certes, mais joli. Il sourit doucement et la toisa d'un regard amusé. Il fallait qu'il réponde. Il fallait vraiment qu'il réponde ! Mais quoi dire pour ne pas avoir l'air d'un type misérable ? « Jay » Oui, bon, là on était sur le summum de l'imbécilité. Ça lui avait semblé logique de se présenter à son tour, mais lâcher juste son prénom, comme ça, est-ce que c'était simplement raisonnable ? Allait-elle comprendre qu'il se présentait ? Arf, tant pis. Il n'allait pas non plus se creuser la tête pendant trente ans pour une simple conversation. Autant fonctionner à l'instinct et arrêter de se torturer l'esprit. Sa mère lui avait toujours expliqué, dès son plus jeune âge, qu'il avait tout intérêt à rester naturel. Autant suivre ce précieux conseil. « Eh bien Selena, si vous me le permettez, je serais ravi de continuer cette conversation. Dans le rayon suivant. Parce qu'il me faut des produits ménagers. » Curieuse invitation que de lui proposer de poursuivre la conversation dans un autre rayon. Mais au moins si elle refusait, elle n'avait pas pour obligation de se justifier. Jay lui laissait ainsi une sorte d'échappatoire. Ou une possibilité de continuer la conversation si elle le souhaitait réellement.

Toujours avec le sourire au coin des lèvres, il se dirigea donc dans le rayon juste après celui où il avait fait cette drôle de rencontre. Il avait cruellement besoin de désinfectant pour surface. Et il était également cruellement curieux de voir si la fameuse Selena allait l'y rejoindre ou non.

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Mais où étaient donc rangées ces fichues lingettes désinfectantes ? La mise en rayon du supermarché avait bien changé depuis la dernière fois qu'il était passé par là. « Ça tombe bien, moi aussi, j'avais besoin de produit ménager. Ce rayon était d'ailleurs le prochain sur ma liste. » Alors, finalement, elle l'avait suivi, hein ? Jay tourna légèrement la tête pour toiser la jeune femme qui venait d'arriver, un sourire satisfait au coin des lèvres. Il faut dire qu'il avait beaucoup de mal à réprimer son contentement. Il ne s'était pas vraiment attendu à ce qu'elle le suive (en fait il ne s'était même pas attendu à quoi que ce soit). Pourtant, elle était juste à côté de lui, avec son chariot et ce sourire incroyable sur les lèvres. En fin de compte, aux yeux de Jay, Selena était ce genre de personnes solaires et radieuses, toujours dans l'optimisme et la bonne humeur. Quasiment tout l'inverse de lui, en somme. Pas qu'il soit franchement dépressif ou du genre à voir le verre à moitié vide, toutefois le tatoueur était bien plus dans la réserve et l'observation. Ce n'était pas un franc extraverti. « Alors Jay, vous habitez dans le coin ? Je ne vous ai jamais croisé et je crois que je vous aurais remarqué. Enfin, c'est pas comme si j'allais souvent en courses cela dit. Sans parler des attaques de papier toilette. C'était bien la première fois. » Il la vit attraper les fameuses lingettes qu'il cherchait depuis une bonne grosse minute déjà et il soupira de soulagement. Elles n'avaient pas changé de place, c'était simplement lui qui n'avait pas correctement regardé. Alors, tandis qu'il s'occupait d'en mettre deux paquets dans son panier, il songea à la question de la jeune femme. Et surtout, à son humour. Car force était d'admettre qu'elle faisait preuve d'un sens de l'autodérision qui lui plaisait beaucoup. « Je suis arrivé il y a environ deux mois. Peut-être un peu plus maintenant. » Oui, ça faisait probablement un peu plus que deux mois désormais, mais qu'importe. « Avant ça je vivais à New-York. Mais j'en avais un peu marre de cette grande ville impersonnelle. Et puis je voulais m'émanciper un peu de mes parents, toujours dans le coin. » Il haussa doucement les épaules, peut-être qu'il parlait un peu trop, mais qu'importe. Une fois qu'il était lancé sur certains sujets, Jay ne s'arrêtait plus. Là où quelques secondes auparavant il aurait pu paraitre peu aimable, il semblait s'ouvrir un peu plus à la discussion en présence de Selena. « Et vous ? Vous êtes de la région ? » Vu la taille du caddie qu'elle se trimballait, elle devait avoir une grande famille dont elle était soit la sœur, soit la mère. Et même si elle semblait rudement jeune pour être mère d'une famille nombreuse, ce n'était pas à Jay d'émettre le moindre jugement.

Jay replongea le nez dans sa petite liste de courses. Il n'était pas question d'oublier quoi que ce soit -il été d'ailleurs totalement proscrit qu'il remette les pieds dans un supermarché jusqu'à la fin de la semaine- alors, il s'assura qu'il n'oubliait rien dans ce rayon. Comme des gants pour faire le ménage par exemple. Faisant un pas sur le côté, puis un second, il en attrapa une paire qui semblait être à sa taille. Il y avait définitivement plus glamour pour faire la conversation à une jeune femme, mais Jay n'était pas franchement réputé pour faire dans la subtilité. « N'hésitez pas à me dire si jamais je parle trop, surtout. J'ai un peu la mauvaise manie d'être trop bavarde. » Jay marqua un temps d'arrêt. « Quoi ? Oh non non, ne vous en faites pas. Quelque part ça m'arrange. » Il s'arrêta une seconde en se demandant comment il allait justifier les propos qu'il venait de tenir et argua : « Je ne suis pas le plus grand des bavards, mais j'apprécie votre compagnie, alors d'une certaine manière, je suis un peu dans ma zone de confort, si vous parlez plus que moi. » Il haussa les épaules et adressa un sourire un peu penaud en guise d'excuse. Au moins les choses étaient dites comme ça.

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Est-ce qu'il avait besoin d'autre chose ici ? Jay jeta un coup d'oeil autour de lui pour s'assurer qu'il ne lui manquait rien. « Moi, je suis née ici. Je n'ai qu'une petite sœur, mais je vis avec d'autres personnes et on forme une véritable famille tous ensemble. Je les connais depuis que je suis née et on veille tous les uns sur les autres. » Jay se demanda pendant un instant si Selena n'appartenait pas à une secte ou à quelque chose y ressemblant. Former une grande famille avec de parfaits inconnus, c'était quelque chose d'assez particulier tout de même et bien que le tatoueur ne soit pas du genre à juger autrui -dans la limite du raisonnable- il trouvait ça vraiment étrange de vivre dans une sorte de communauté. Enfin, lui il avait toujours vu que ça commençait comme ça chez les sectes, dans les reportages que Jay regardait tard le soir sur son canapé. Toutefois, il nota avec amusement qu'elle aussi elle avait une sœur. C'était là leur premier point commun ! Et même si ça semblait insignifiant et tout à fait commun, lui, il était plutôt content. « Oh, eh bien tant mieux. Parfois, j'ai vraiment du mal à m'arrêter de parler et on me le reproche souvent. Le principal, c'est que vous ne soyez pas mal à l'aise. » Jay hocha doucement la tête. Cela allait. Elle était certes bavarde, mais pas envahissante pour autant. Et puis ça restait gentillet. Elle n'était pas du genre à harceler de questions, ni même à parler sans lui laisser le temps de répondre. C'était un bon échange. Et il appréciait tout particulièrement d'être dans ce rayon de produits ménagers -pour une fois. « Moi aussi, j'apprécie votre compagnie. Et… Vous vous plaisez ici ? Vous avez déjà pu vous faire des amis ? » Jay sourit de plus belle. Elle était sacrément sympathique. Il lui aurait bien déballé toute sa vie d'un coup, mais il avait besoin de poursuivre ses courses. D'un signe de tête, il lui proposa de se mettre en marche pour le rayon suivant.

Tout en regardant sa liste de courses -ridiculement petite- Jay se remit donc en route tout en songeant à la dernière question de la jeune femme. Est-ce qu'il avait des amis ? Non pas tellement. Des connaissances tout au plus, mais il aurait été hypocrite de dire qu'il avait des amis. « Je me plais bien oui. La ville est belle, agréable à vivre et puis le rythme de vie est différent, plus léger, moi stressant. » Il haussa les épaules avant d'ajouter ; « Dans un sens ça me correspond bien plus. » Aveux un peu penaud à nouveau. Il tenta de s'en excuser avec un sourire léger. « En tout cas les gens ici sont vraiment bienveillants. » Il esquiva légèrement la question des amis, parce qu'il n'était pas franchement à l'aise avec l'idée d'avouer qu'il était un peu un loup solitaire. Rester dans son coin lui plaisait bien et les rencontres qu'il faisait au salon lui suffisait totalement.

Rayon des boites de conserves. Il n'avait honnêtement rien à faire ici, mais si Selena avait besoin de quoi que ce soit, il préférait rester là. Et puis un rayon sans articles à chercher lui laissait davantage l'occasion de parler et d'échanger avec la jeune femme. « Enfin, je rencontre pas mal de monde avec mon boulot, je suis tatoueur !.. Et les personnes ici sont vraiment sympas. » Il marqua un temps d'arrêt. Est-ce que c'était mal vu d'être tatoueur dans le coin ? Il n'en avait jamais eu le sentiment en tout cas.

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« Je suis d'accord, la ville est vraiment parfaite à mes yeux. Et je ne dis pas ça parce que je suis née ici. Je n'aurais jamais voulu partir. Je suis contente qu'elle vous plaise. » Le tatoué ne put réprimer un sourire. Il trouvait cela assez amusant, de constater que la jeune femme et bon nombre d'autres habitants de la ville défendaient cette dernière bec et ongle. Ils l'aimaient réellement et Jay se demanda si ce n'était pas là un sentiment d'appartenance que seules les villes plutôt modestes pouvaient connaitre. Une sorte de communautarisme, proche du patriotisme, ou tous ceux qui résidaient à un endroit bien particulier aimaient foncièrement et sincèrement ce dernier. Jay trouvait cela assez attachant, d'une certaine manière. En tout cas il trouvait la jeune femme bougrement plus sympathique. D'autant plus qu'il avait l'impression de la découvrir au fil de la conversation et que cette découverte n'avait, pour ainsi dire, rien de désagréable. En fait, Selena était une jeune femme relativement douce et elle semblait passionnée par des choses simples. En tout cas, elle était animée par des valeurs telles que la famille et la vie en communauté qui plaisait beaucoup au tatoué. Il en vint presque à penser que si elle avait été un peu plus âgée -car elle paraissait bien plus jeune que lui- il l'aurait peut-être invitée à boire un verre, prochainement. « Tatoueur, vraiment ? Oh je trouve ça vraiment classe ! J'ai toujours rêvé de me faire tatouer, mais je n'ai jamais vraiment osé sauter le pas. » Les propos de Selena le tirèrent hors de sa torpeur un peu rêveuse. « Eh bien, pour le jour où vous n'hésiterez plus, sachez qu'il y a un excellent tatoueur en ville. » Il avait répondu du tac au tac, sans trop réfléchir. De toute façon, s'il se mettait à penser un peu trop, il se torturerait l'esprit avec des choses qui n'avaient pas lieu d'être, alors autant agir de manière naturelle, même si ce naturel pouvait parfois être un peu déconcertant. « Bien sûr je ne suis pas en train de me vanter. Mais peut-être que subtilement je fais ma pub. » Pas si subtil que ça. Mais Jay n'avait pas son pareil pour faire preuve d'un peu de second degrés. « Enfin, pour ça, il faudra que vous soyez majeur hein, je ne tatoue pas sans cette condition. » Ça en revanche, c'était bien plus subtil. Manière détournée de chercher à connaitre son âge et aussi, pourquoi pas dans la foulée, à flatter un peu son égo.

Sans se défaire de son léger sourire, Jay attendit sagement que la jeune femme termine de prendre ce qu'il lui fallait dans ce rayon. Il lui aurait bien proposé son aide, surtout que les conserves pouvaient facilement être lourdes, mais il craignait d'être trop intrusif avec elle. « Moi j'ai fini ici, rayon suivant ? » Jay hocha doucement la tête en guise d'approbation. Il avait quasiment terminé ses propres achats. Ne lui restait plus que quelques boites de thé et des gâteaux secs au cas où il lui prendrait l'envie de grignoter pour combler une petite fringale matinale. Toutefois, il s'abstint de faire la moindre remarque à ce sujet ; il n'avait pas franchement envie que ce moment -plus qu'appréciable- s'arrête de sitôt. Emboitant le pas à la jeune femme, il la suivi sans trop savoir quoi dire. Elle était courageuse tout de même, de faire des grosses courses comme ça toute seule. Surtout qu'elle semblait avoir toute une colonie à nourrir. Mais il n'osa pas faire la moindre remarque à ce sujet. Après tout, elle aimait peut-être simplement les néons blancs et l'austérité de l'endroit. Ou alors c'était une courageuse, comme lui ; sauf qu'elle gérait un peu mieux le truc. Dans tous les cas, il était assez admiratif.